Mon chauffeur
C’est un excellent compagnon de route, gai, débrouillard, attentif. Il m’amuse, et avec lui je jouis de la plus parfaite sécurité. Il a un sang-froid imperturbable, de la prudence, et, quand il le faut, de la hardiesse. Il ignore la fatigue, et, dans toutes les circonstances, garde sa belle humeur... Il faut le voir aux prises avec les agents cyclistes et les gendarmes, qu’il étourdit de sa gentillesse pittoresque, ce qui fait qu’il passe presque toujours au travers des contraventions les mieux établies. Et puis, il aime sa machine ; il en est fier. Le mois dernier, nous revenions de Bordeaux, la nuit. Pour la cinquième fois, un pneu éclata.
«Tant pis, lui dis-je.... Marchons comme ça !...»
«Non, Monsieur, c’est impossible, fit-il. Ca fatigue trop de différentiel....». Et il se mit à travailler, en aidant son courage d’une chanson.
Octave Mirbeau (La 628E8)