(Venise - Peintre : Canaletto)
La reine de la mer
Venise est une ville d’un autre monde ; toute autre ne saurait lui être comparée, si l’on songe à sa mystérieuse et lugubre grandeur. Dès qu’on a mis le pied dans ses silencieuses gondoles vêtues de noir comme des catafalques, on oublie tout à coup le pays d’où l’on vient, pays de montagnes ou de sites ravissants, on est tout à Venise, et l’on se livre à une curiosité d’enfant, à une admiration d’artiste. C’est là surtout qu’on voyage dans la mort ; c’est le silence de la tombe, ou plutôt, c’est la tombe elle-même. Mais qui ne voudrait habiter un pareil monument, poème grandiose où l’architecture et la sculpture sont venues chanter tour à tour les plus belles strophes de la poésie orientale. Ses ennemis même considèrent cette ville avec douleur et respect. Venise est sortie de la mer belle et victorieuse ; mais par degrés, peu à peu la mer reprend son empire, la ville est chaque jour battue en brèche.
Aller à Venise pour les artistes, c’est aller en pèlerinage ; sa physionomie est tout autre qu’elle n’était jadis ; c’est une ville pleine d’enseignements, de tristesse et d’objets d’arts. Je ne saurais dire avec quelle pieuse ferveur, je saluai, dans le lointain, les dômes et les clochers. Non seulement l’idée de Dieu rayonnait sur ces églises, mais aussi le souvenir des Titien et des Véronèse, ces maîtres sublimes qui vivent au-delà du tombeau. Quand on arrive à Venise on est tenté de s’écrier comme le prophète devant Tyr : « Comment avez-vous péri, vous qui habitiez dans la mer ! O ville superbe ! les îles seront épouvantées en voyant aujourd’hui les vagues seules sortir des portiques de vos palais. »
Véronèse
Le Titien