Remontrances
Mon ami, permets-moi de te parler sincèrement. En un mot comme en cent : tu deviens égoïste. Les mauvais exemples te perdent. D'autres pourront te donner des conseils plus agréables : moi, l'ancien ami de ta famille, je n'hésite pas à te dire : n'attends pas plus longtemps : va trouver tes amis et ose leur dire : "Je ne veux pas faire comme vous ; votre maxime : chacun pour soi, me répugne et me révolte." Il se riront peut-être de toi : laisse-les faire ; c'est le seul moyen de te montrer plus sage qu'eux. Je connais la bonté native de ton coeur, je la connais depuis longtemps, depuis le temps où ta mère te tenait, tout enfant, sur ses genoux. Tu suivais alors ses conseils, tu en goûtais toute la sagesse, tu y conformais ta conduite. Que de fois a-t-elle dit devant moi à son cher enfant : "Le jeune homme qui ne pense qu'à lui se rend indigne de l'affection des autres et il devient inutile, dangereux même pour la société ! Vous me feriez bien de la peine, Lucien, ajoutait-elle, si je vous voyais devenir comme tant d'autres qui se croient bien meilleurs que vous."
Elle était bien vraie, mon ami, cette parole de ta mère, et tu n'en doutais pas alors : te crois-tu donc aujourd'hui en possession d'une science plus certaine et d'un bonheur plus profond ? Tu iras à Paris cette semaine ; j'y serai moi-même dans trois jours ; j'irai te voir, et nous causerons à coeur ouvert, comme autrefois.