Geneviève
Notre père était trop pauvre pour donner une servante à ma mère, et j'étais trop petite pour faire toute seule le ménage. Les voisins venaient bien de bon coeur, quand je les priais, tirer pour nous le seau du puits, mettre la grosse bûche au feu et pendre la marmite à la crémaillère ; mais ma mère et moi nous faisions tout le reste.
Aussitôt que j'avais pu marcher seule dans la chambre, j'avais été la servante née de la maison, les pieds de ma mère, qui n'en avait plus d'autres que les miens. Ayant sans cesse besoin de quelque chose, qu'elle ne pouvait aller chercher, au jardin, dans la cour, dans la chambre, au feu, sur l'évier, sur la table, sur un meuble, elle s'était accoutumée à se servir de moi avant l'âge, comme elle se serait servie d'une troisième main ; et moi, j'étais fière, toute petite que j'étais, de me sentir nécessaire, utile, serviable comme une grande personne à la maison.
Lamartine